Jeff Wall, Dead Troops Talk : La construction d’une image de guerre (avec des zombies)
Un article décalé à propos d'un travail emprunte le chemin inverse de la démarche documentaire
Cette photographie de Jeff Wall s’intitule Dead Troops Talk (A Vision after an Ambush of a Red Army Patrol near Mogor, Afghanistan, Winter 1986).
Il s’agit donc apparement, sans autre information, d’une bande de soldats zombies qui tape la causette après s’être bien fait ****** par les moudjahidines.
Avec un peu de perspicacité, chacun sentira l’arnaque, l’image est fausse ; premièrement, il s’agit d’une photo de morts-vivants… Bon, et en connaissant un peu Jeff, la photographie de guerre c’est pas trop son kiff, il est plus concept comme mec.
Jeff Wall a construit toute son oeuvre autour de la force subjective des images, ou plus exactement de leur incapacité à rendre objectivement une réalité.
Son travail emprunte le chemin inverse de la démarche documentaire, c’est-à-dire que, plutôt que de vouloir donner à une scène bien réel un caractère extraordinaire, il arrange ses images “au millimètre près” afin de les rendre banales et ultra-réalistes.


Evidemment, l’image Dead Troops Talk ne répond pas à ce concept de mimétisme entre réalité et fiction, la mise en scène est ici ostensible.
La production de cette photographie est presque l’oeuvre d’un fou, tellement elle a demandé de moyens ; Jeff Wall a commencé par construire le support de la scène en bois, avant de le recouvrir d’une terre rocheuse, semblable à celle que l’on trouve dans les régions montagneuses d’Afghanistan.


Vint ensuite le temps des prises de vues… Oui, car l’image fut réalisée sur base de plusieurs clichés, chacun ciblant la scène jouée par le(s) acteur(s), et dont les postures et expressions ont été déterminées à l’avance.


Enfin, toutes les prises de vues furent assemblées numériquement pour créer le grand ensemble. L’emploi de l’informatique a permis d’effacer totalement les raccords (une grande nouveauté à l’époque).
Le résultat de cette entreprise est une fresque fantasmagorique, dans laquelle se déploie un dialogue des morts tragique, et aussi burlesque ; les trois personnages du haut de l’image se livrent à des pitreries… Jeff Wall souhaitait rompre avec le tragique de la situation en y incorporant une scénette façon Grand Guignol. “Trop sérieux ferait pompeux” a-t-il dit.

Mais la scène est également frappante tant son esthétisme est celui de la réalité. C’est l’horreur physique des blessures, reproduite avec un grand soucis du réel, auquel nous confronte Jeff Wall.

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