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Heterotopia, l’âme de la ruine chez Vincent J. Stoker

Ce travail sur la ruine est entouré d’une vraie cohérence graphique et intellectuelle alors même que la photographie d’architecture est à la mode.

Vincent J. Stoker est un jeune photographe de 31 ans, gagnant de notre concours « La photographie et son propos », il exposera en 2011 sa série « Heterotopia » à la galerie Alain Gutharc, à Paris. Ce travail sur la ruine est entouré d’une vraie cohérence graphique et intellectuelle alors même que la photographie d’architecture est à la mode. Ce qui pour sa carrière artistique fera probablement toute la différence se trouve dans la qualité de son propos couplée à une incroyable énergie.

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Avant Heterotopia, quel trajet vous mène à la photographie ?

C’est un peu l’histoire de ma vie finalement. J’ai commencé la photographie assez tard alors que j’avais toujours eu un appareil sur moi. Mes préoccupations au départ étaient toutes autres. Je me servais de mon appareil pour mémoriser des détails, des situations, tout ce qui éveillait en moi des idées. La photographie n’a jamais été pour moi une fin en soi, j’ai commencé en l’utilisant comme simple bloc-notes.

Après mes études, j’ai voyagé et pris beaucoup de photos sans avoir réellement de conscience photographique. Quand je suis revenu en France je m’ennuyais sévèrement. J’ai découvert, un peu par hasard, un site industriel monumental en ruines, la papeterie Darblay à Corbeille Essonne. J’y ai trouvé une forme d’exotisme qui me rappelait mes voyages, un dépaysement ou plutôt, un « ravissement » : ces lieux m’arrachaient à l’ennui du quotidien sédentaire qui m’était alors imposé.

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Photographiquement, ce n’était toujours pas formidable. J’étais quasiment hystérique, presque en transe, j’hallucinais totalement sur tout. Je mitraillais le moindre boulon, la moindre petite vis. Je m’arrêtais sur les portes, les fenêtres… tout y passait ! En gros, je vidais des batteries pour remplir des cartes mémoires. Je transformais du courant électrique en pixel. Je souffrais d’une espèce de boulimie photographique aiguë.

Petit à petit, en analysant mes images, je me suis rendu compte que ce que je voulais montrer était un lieu. La première problématique de mon travail est apparue : comment montrer un lieu en une seule photo ? Il y a une économie d’image : un lieu, une photo ; et si possible dans toute sa puissance architecturale. Mon point de vue s’est donc construit au fur et à mesure (aérien, frontal et synoptique) avec l’objectif de mettre à égalité tous les plans de la structure. Je place l’appareil au centre de l’architecture pour ne privilégier ni le plafond ni le sol et considérer toutes les parties équitablement. Au final, on arrive à une représentation qui est proche de celle du concept du lieu, l’idée du lieu grâce à un point de vue quasi-divin.

J’ai mis du temps à cristalliser dans la forme et dans l’idée ce point de vue, et avec le temps il a beaucoup de sens pour moi. Dominique Gaessler m’a dit que je « cathédralisais » les lieux que je photographie. Je les montre dans toute leur monumentalité alors qu’ils sont en ruines, ce paradoxe me semble intéressant.

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Je suis influencé par Candida Höfer et ses bibliothèques, musées et palais. On y retrouve ce point de vue systématique. Chez elle cela dédouble l’harmonie classique de lieux somptueux alors que chez moi cela créé un paradoxe chargé de sens. Son travail donne une vision glorieuse de l’humanité qui semble se diriger tout droit vers la fin de l’Histoire. Mon travail jette de l’ombre sur cette perspective optimiste. J’espère que je me trompe. La série Heterotopia est une affirmation qu’il faut contredire.

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Le jeu des perspectives est très important avec ce point de vue. Quelle approche avez-vous sur ce sujet ?

Les perspectives linéaires aspirent l’œil du spectateur à l’intérieur de l’image. Si l’on pose ces photographies au sol, on a l’impression qu’on pourrait plonger dedans. Du haut d’un gratte-ciel, on a la même impression de gouffre quand on regarde vers le bas. Ces jeux de perspectives permettent d’installer, comme un thème, le mouvement de la chute, et c’est fondamental pour ce travail car, justement, ces lieux se fragmentent, perdent leur structure. Les architectes contrarient les forces de la nature pour ériger des formes ascendantes. La nature et le temps écrasent, érodent, aplatissent. C’est cet affrontement, cela même qui est en jeu dans l’architecture que l’on peut observer dans ces images. Ce moment tangent où l’on se demande qui va remporter la lutte.

Le point de vue systématique n’est donc pas qu’un parti pris esthétique, il est porteur de sens car il vient corroborer ce qui se passe au cœur de ces ruines et de l’architecture : une chute. Je veux que mes images provoquent chez le spectateur un sentiment de vertige.

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Comment expliquez-vous ce terme d’Heterotopia ?

Étymologiquement, du Grec « hetero » qui veut dire l’autre et « topos » le lieu. Les hétérotopies sont les « autres lieux ». C’est un concept du philosophe Michel Foucault, dont l’écriture m’a toujours fasciné.

Il y a des lieux hors de tout lieu, des lieux que l’on ne trouve sur aucune carte géographique, des lieux nés dans la tête des hommes. Ces lieux, on les appelle utopies. Il y a, évidemment, les espaces bien réels dans lesquels nous vivons : les rues, les cafés, les plages, les hôtels, le chez-soi… Et puis, il y a une sorte de lieux qui se distingue absolument des autres, quelque part entre lieux réels et fictions utopiques, des lieux réels qui s’opposent à tous les autres et fonctionnent comme des contestations de l’espace dans lequel nous vivons. Ces lieux là, Foucault les appelle hétérotopies.

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Je vous invite à lire cette conférence de Foucault « Des espaces autres, les hétérotopies ». J’y ai trouvé un écho avec mon sujet, j’avais l’impression qu’il racontait mon travail et confirmait mes idées. Il me semble que les lieux que je photographie sont surdéterminés en tant qu’hétérotopies, ce sont des hétérotopies en puissance.

Dans ce texte, Foucault énonce six principes hétérotopiques. Il explique par exemple (c’est l’un des principes) que les hétérotopies sont liées à un découpage singulier du temps. Le temps ne s’y écoule pas comme dans la vie ordinaire, on n’est pas dans le temps de la montre. Il prend l’exemple des bibliothèques et des musées ou le temps s’accumule. Mes lieux donnent à voir une sédimentation du temps. Ils font se rejoindre le passé et le futur dans une temporalité qui n’est plus fléchée. Le temps n’y est pas linéaire, il ne s’écoule plus de manière continue mais plutôt sur le mode d’une suspension. Ces lieux ont perdu le fil qui les relie a leur passé, comme des « vaisseaux qui auraient rompu leurs amarres, et qui vogueraient hors de tout repère spatio-temporel convenu ». Ils sont sortis du temps de l’Histoire et contemplent, peut être avec un sentiment mêlé de tendresse et d’effroi, le devenir incertain des humains qui continuent de s’agiter autour d’eux sans se rendre compte.

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D’autre part, le spectateur est amené à faire un va-et-vient temporel. Il s’imagine l’édifice dans sa jeunesse par un travail mental de reconstitution et parachève de le ruiner dans un mouvement d’anticipation imaginaire. On joue avec le temps qui semble s’apparenter à une illusion. Tout cela est très hétérotopique.

Cela peut être intéressant de remarquer à ce stade que ce principe est renforcé par la photographie qui fige, immobilise et reste silencieuse. Celle-ci montre au présent un temps passé et se présente toujours sous la forme d’un fragment (problème du hors-champ). Toutes ces caractéristiques, elle les partage avec l’édifice en ruines. On pourrait dire de ces lieux qu’ils sont ontologiquement photographiques ou peut être à l’inverse que la photographie a quelque chose de la ruine, certainement de l’ordre de la résistance. En tout cas, la photographie me semble être le support idéal à la représentation de ces lieux car elle leur donne encore plus de sens.

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Dans quelle perspective géographique ou historique s’inscrit votre travail ?

J’essaie de respecter une certaine universalité, et surtout pas une logique géographique. Les phénomènes de ruines et d’abandons ne s’inscrivent pas dans des problématiques géographiques ; aucune société, aucune civilisation n’y échappe. C’est en partie pour cela que les informations spatio-temporelles sont manquantes quand j’expose. J’ai trouvé de superbes friches en Norvège et en Suisse alors que ce sont des pays que l’on met en avant pour leur prospérité économique. Aucun pays ne peut prétendre au progrès linéaire, l’abandon de certaines structures est un passage obligé.

Ce qu’il est important de rappeler c’est que ce sont les ruines de notre propre époque ou du moins celles générées par notre temps. Nous n’avons pas ou peu de recul par rapport à ces destructions et détériorations. Ces ruines sont arrivées près de chez nous. Ce manque de distanciation est à l’origine du caractère polémique de mon travail. Pour pouvoir jouir sans entrave du spectacle de la ruine, il faut que celle-ci soit mise à distance, loin dans l’espace et/ou dans le temps. En ne donnant pas directement d’indications spatio-temporelles, je renforce la position du spectateur qui, pendant un instant, se croit à l’abri, sur le rivage (à distance donc), et contemple le spectacle de ces naufrages depuis le confort de la salle d’exposition douillette.

Historiquement, les artistes se sont beaucoup intéressés à la ruine mais avec une certaines distance. Dans quelques manuscrits du Moyen-âge, on retrouve des représentations de ruines, le plus souvent motivées par des thèmes religieux comme l’apocalypse ou la chute de Babylone. Les bâtiments semblent intacts, aussi frais que dans leur jeunesse. Pour signifier l’état de ruine, on les représentait souvent à l’envers, le toit en bas, comme dans une chute. Les « artistes » de cette époque semblent incapables de figurer la décrépitude, ou plutôt cela n’a aucun intérêt pour eux de montrer les effets de la destruction ou de la décadence car ce qui les motive est davantage l’idée de la ruine que la ruine dans la matière.

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A la renaissance, on retrouve évidemment les ruines antiques grecques et romaines chez de nombreux peintres. On peut remarquer notamment que la nativité commence à prendre place dans des décors de ruines. J’aimerais vous proposer d’aller en admirer une en particulier qui m’a beaucoup influencé dans ma réflexion, celle de Jean de Gourmont (Nativité dite de Jean Gourmont – 1525) au musée du Louvre. J’y vois une certaine perfection vers laquelle j’essaie de tendre avec les outils et contraintes du réel qui sont les miens.

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Au XVIIe, il y a un peintre en particulier auquel je suis sensible, Monsu Desiderio. Il(s) donne(nt) à voir le temps de la catastrophe, le moment de la destruction d’architectures monumentales fantastiques d’inspirations antique et biblique. Grâce à ce peintre, j’ai compris que mes images fonctionnaient différemment, on s’interroge sur ce qui s’est passé et cherche dans l’architecture les indices qui permettraient de reconstituer le moment de rupture. La fumée, la poussière sont retombées. On est dans la conséquence, les causes restent mystérieuses et cela laisse beaucoup de place au spectateur et à l’imagination.

Au XVIIIe, la ruine devient le sujet principal de nombreuses œuvres et un thème pictural à part entière. Je pense à Piranèse qui, par ses gravures dramatiques, magnifie l’antiquité et son architecture. J’admire sa capacité à restituer d’innombrables détails dans les zones sombres, du détail jusque dans les noirs les plus profonds, tout semble baigner dans l’ombre ; cela constitue d’ailleurs une belle critique de l’arrogance des Lumières. Et puis, il faut citer Hubert Robert et ses ruines anticipées comme la « Vue imaginaire de galerie du Louvre en ruines ». Le goût pour la ruine à cette époque est tel qu’on va donc jusqu’à ruiner les bâtiments (en peinture, par l’imaginaire) et même en construire pour agrémenter les jardins (les fabriques).

Au XIXe, les romantiques donnent à la ruine un caractère fantastique. Ils pressentent qu’il y a là un entre-monde, entre être et non être, rêve et réalité, un état qui permet de sonder l’insondable abîmé de la Nature et de la psyché humaine. La ruine est donc utilisée sur un mode allégorique. Parallèlement, à la même époque, avec la naissance de l’archéologie moderne et de la photographie, se développe un goût pour l’égyptomanie et ses ruines.

Le XXe est marqué par les ruines de la guerre. Celles-ci sont chargées de la souffrance des hommes et traduisent le traumatisme de la guerre en forme. A partir de cette période, on commence à s’intéresser aux ruines dans leur contemporanéité, la distance qui sépare le spectateur du spectacle se réduit, prendre du plaisir à contempler la ruine devient sujet à controverse.

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Comment vous positionnez-vous physiquement dans l’espace ? Quels moyens techniques utilisez-vous pour ces prises de vues ?

Je recherche toujours une certaine hauteur. Malheureusement, je n’ai pas de nacelle comme Burtynsky. A la place, j’ai recours à des artifices rudimentaires. Mon trépied monte à environ 3 mètres mais ce n’est pas toujours suffisant. Alors j’utilise des éléments trouvés sur place comme une table pour surélever mon trépied. Parfois, je pousse le comique jusqu’à me fabriquer une structure, complètement bancale, avec des tas de pierres ramassées autour de la structure démolie par exemple. Du coup, ces prises de vue aériennes bricolées, je les réalise en aveugle puisque je ne vois absolument pas ce que je photographie.

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Donc pour vous, jamais de Fish-eye ?

Je n’utilise que de très courtes focales, un 14mm sur un APN 24×36 et un 47mm sur une Cambo Wide DS 4×5″ mais ce sont tous des objectifs « linéaires » dont les déformations restent acceptables dans le sens où ils donnent un rendu « naturel » aux lieux. Le fish-eye n’est pas un objectif à bannir, il ne s’inscrit simplement pas dans une démarche qui se veut objective ou prétendument objective.

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Documentez-vous les zones géographiques où vous trouvez ces ruines ?

Je ne suis pas un photographe-archiviste, je ne fais pas un travail d’inventaire ou de répertoriage. Pour photographier un lieu, j’en visite dix. Il y en a beaucoup plus hors-champs, c’est une difficulté supplémentaire imposée par la rigueur de la série. Par contre, j’ai toujours sur moi un navigateur GPS qui me permet de marquer les coordonnées géographiques des lieux que je visite. Je garde ces informations précieusement au cas où.

Comment financez-vous tous ces voyages, ces grandes sessions de prises de vues ?

J’ai été professeur d’anglais et de photographie pendant plusieurs années dans une école d’art à Montreuil. J’avais choisi ce métier car il me laissait du temps libre. Aujourd’hui j’essaie de présenter cette série et d’en vivre.

Avant ça, j’ai fait une maîtrise de langues, lettres et civilisations anglophones à Paris, mon mémoire portait sur l’Idée de progrès dans la peinture victorienne. Ensuite, j’ai enseigné en Angleterre, au Brésil et beaucoup voyagé…

Pour faire ces longs voyages, je circule en baroudeur, et dors dans ma voiture grâce à une adaptation de celle-ci en mini-van. C’est aussi stratégique car pour visiter ces lieux, je dois me lever très tôt et être déjà sur place. Souvent, j’entre quand il fait encore noir. L’attente du soleil, depuis l’intérieur du bâtiment représente parfois de longues heures, mais cela me permet de penser ma photo !

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Comment ces photographies sont-elles liées ?

Je fonctionne uniquement en terme de série. Lorsqu’un lieu ne convient pas à l’ensemble, je ne prends pas la photo. Je vois souvent de belles choses, très spectaculaires ou intéressantes mais je ne les photographie pas car ça n’a pas de sens, ça ne rentre pas dans les exigences de la série. La frustration de ne pas pouvoir tout photographier est réelle, mais nécessaire pour garder une cohérence.

Ensuite, je dirais que mon travail porte sur la perte de la forme, sans jamais aller jusqu’à l’absence pure (de forme) mais dans une tension vers cette absence. Il y a des lieux plus ou moins lisses, plus ou moins déconstruits. On retombe sur l’idée d’une « chute » avec différents moments de la ruine. C’est en partie ce qui fait le lien entre les images.

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Que pensez-vous de la restauration des ruines en général ?

On peut considérer ces bâtiments comme des formes amoindries et diminuées ou alors au contraire, comme des lieux où la vie ne s’éteint pas. Ces lieux témoignent d’une résistance. Ils semblent lancer un défi à la durée, au temps et à la furie des hommes. Pour moi, ils permettent de figurer cette tension invisible qui anime toute chose dont le drame est de ne pouvoir échapper au néant. Mes images, aux allures un peu théâtrales, mettent scène cette lutte courageuse de bâtiments fragilisés qui résistent pour ne pas sombrer dans l’oubli. Je pense qu’il faut les protéger du vandalisme brutal et de la destruction mais pas forcément du temps et de ses effets. Je propose un lâcher-prise, une forme d’abstentionnisme qui permettrait d’offrir une place privilégiée à cet effort héroïque. Qu’est-ce qui ne va pas avec ces bâtiments ? Pourquoi ne pas accepter que la ruine fasse parti de notre environnement ? On pourrait y prendre des leçons, en plein centre ville ? Première leçon : mise en garde contre les projets utopiques, le désir de maîtrise totale et de perfection. Regardez ce que sont devenus ces projets monumentaux, dans quelle entreprise vous lancez-vous à Dubaï ces derniers temps ? Le rôle de ces lieux pourrait être de supporter une philosophie de l’humilité qui ferait contrepoids à la mégalomanie de certains hommes ? Mon lâcher-prise n’est pas un laisser-tranquille-dans-un-coin, il ne s’agit pas d’ignorer ces espaces mais au contraire de les valoriser en tant que ruines, pour que tous les regards se portent sur eux. C’est là que, pour des raisons pratiques, la photographie intervient en jouant un rôle de médiation.

D’autre part, je crois que donner une place à ces édifices, ce serait faire un effort vers une acceptation des parts sombres de nos Histoires, accepter nos imperfections et erreurs. Ce sont nos propres limites, nos propres vices que ces lieux révèlent. Les défauts ne sont pas dans les architectures mais bien dans l’homme qui les a construits. On ne peut pas s’intéresser qu’aux grands victorieux de l’histoire, le photographe doit se tourner aussi et surtout vers les vaincus qui tendent à disparaitre beaucoup plus facilement et rapidement. L’humanité est ainsi faite qu’elle fait des erreurs, c’est cela qu’il ne faut pas oublier. Finalement, la série a pour but de faire aimer cela même qui n’est pas flatteur. J’espère qu’elle donne des arguments en faveur d’une réconciliation de l’homme avec ses faiblesses.

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Je pense donc que la restauration n’est pas forcement nécessaire. Elle peut même facilement devenir néfaste et pourrait dans certains cas être considérée comme une forme de vandalisme (terrible puisqu’il s’ignore). Je m’appuie sur les idées d’un penseur victorien, John Ruskin, pour qui la restauration est un mensonge, une tentative de rattraper et réécrire l’Histoire.

Le bâti s’abime, il se créé des pertes, des vides. Ces vides ont plus de sens et plus de valeur que le plein ajouté par la restauration. Le vide est Histoire, le plein est fiction. La restauration est une illusion, est-il possible de relever les morts ? C’est un peu trahir les générations passées et la mémoire des lieux, voire perdre la compréhension d’un lieu historique. La restauration met en péril la vocation testamentaire de ces lieux alors même que c’est tout ce qui leur reste. Transformer l’authentique en faux c’est ce que j’appelle « Las Vegassiser l’Histoire ».

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Vous êtes le gagnant de notre concours photo 2010 « La photographie et son propos », qu’est ce qui vous a donné envie de participer à ce concours ?

Le texte que j’ai présenté en regard de la photographie a été écrit par une auteure qui s’appelle Pali Malom. Il y a quelques temps, je faisais une exposition dans une petite librairie, elle est venue et a été touchée. Elle m’a envoyé une série de proses et de poèmes formidables en s’inspirant de ces images. J’ai donc proposé tout naturellement son texte avec une de mes photographies pour le concours.

Quelles sont vos prochaines étapes avec Heterotopia ? Où voudriez-vous voir arriver ce projet ?

Au début, je me suis dit que ce travail, avec ce point de vue systématique, allait vite devenir redondant mais il existe une telle richesse architecturale que chacun de mes voyages est récompensé. Je pense à cette boite de nuit rouge un peu cubiste. Je n’imaginais pas trouver un lieu pareil. Je ne soupçonnais pas que cela puisse exister. Je pourrais arrêter la série à tout moment car on ne manque pas de quelque chose dont on ignore l’existence. Mais je sais que la surprise et l’étonnement sont quelque part. Une fois que j’ai trouvé un lieu qui enrichit la série, celui-ci devient incontournable, et je me demande comment cela pouvait fonctionner sans. Cela me semble donc délicat de mettre un terme à cette série, tout simplement parce que je crois encore pouvoir être étonné.

Par contre, j’ai l’intention de poursuivre ce travail sur le « topos ». La série sur le thème de la ruine n’est que la première partie de mon projet Heterotopia. J’ai repéré une autre forme d’espace hétérotopique « en puissance ». Ce qui est intéressant, c’est que cette fois-ci, tout commence sur papier. J’ai écrit beaucoup avant même d’avoir réalisé la première image. J’ai un vrai souci de cohérence dès le départ, une vision de l’ensemble très précise mais je ne sais pas du tout si cela va fonctionner visuellement. Si le projet perd sa poésie, il sera raté. La photographie je la vois, je sais ce que je veux, je vais maintenant devoir me confronter à la réalité pour voir si de tels espaces existent.

Je ne veux pas trop révéler cette seconde partie d’Heterotopia, je propose que l’on se retrouve dans quelques temps pour en discuter à nouveau, autour des photos.

Propos Recueillis par RD le 27 février 2013

Lien vers le site du photographe Vincent J. Stoker

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