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Nick Brandt photographie les animaux africains, l’esthétisme contre la barbarie

Nick Brandt est un photographe avec une passion sincère pour son sujet : les animaux africains

Pour rencontrer Nick Brandt, il faut surtout de la patience parce que ce photographe est extrêmement occupé et demandé. A titre d'exemple, son dernier projet « A Shadow Falls » a été exposé dans trois capitales européennes en seulement dix jours. Notre patience a fini par payer : nous l’avons rencontré à Bruxelles juste avant son départ pour Paris. Nick Brandt est un photographe avec une passion sincère pour son sujet : les animaux africains. Il ajoute de la romance et de l’intimité pour élever ce genre très connu de la photographie à un nouveau standard. Avec nous, Il a pris son temps (et raté son train), pour partager ses pensées, son travail, et la condition des animaux africains.

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Voyez-vous votre projet récent « A Shadow Falls » comme un testament qui décrit les animaux africains, ou comme un travail qui doit motiver les peuples à protéger ces animaux ?

Pour moi, c’est un dernier testament. Ces animaux disparaissent mais ceci ne veut pas dire qu’il faut les abandonner. Comme dans le cas du réchauffement climatique, tout le monde avec un tant soit peu de jugeote sait que ça existe et que ça s’empire. Il ne faut pas perdre espoir, on peut toujours faire quelque chose. Ces animaux disparaissent tellement vite et cette situation va tellement en s’empirant, que nous sommes obligés de faire quelque chose. Je documente ce monde comme il est aujourd’hui, et peut-être comme il ne sera jamais plus. Je souhaite que les gens s’engagent comme ils le peuvent. Moi, je ne suis qu’un seul élément de l’action qui peut être faite. On peut être environnementalistes, ou photographe par exemple. Chacun de nous essaye d’informer les autres.

Cette façon de présenter les animaux varie de ce dont nous avons l’habitude. Nous pensons à des photographies de lions, prises sur le vif, avec beaucoup de couleur par exemple. Quand vous avez commencé à photographier, aviez-vous déjà pensé à prendre vos photos comme des portraits et en noir et blanc ?

Je ne me suis jamais pensé comme photographe de nature. Même en tant que touriste en Afrique, avant que je commence ce travail, j’avais mon Pentax 67, je photographiais déjà en noir et blanc et je détestais le 35mm. Depuis le début, et dans mon premier livre, il y a quelques photos des dix premières pellicules que j’ai faites en Afrique. Si vous regardez toutes mes planches contact, il n’y pas de photos d’action faites au téléobjectif. En fait, j’ai acheté un petit téléobjectif, je l’ai utilisé pendant quelques jours, puis je l’ai rangé pour de bon.

Tout votre travail est fait avec un Pentax 67, un objectif court ?

Oui.

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Comment vous approchez-vous des modèles avec un objectif court ? Est-ce facile ?

Non, mais ça dépend – chaque animal est différent et on ne peut jamais savoir. La vraie difficulté est que les endroits où je peux m’approcher des animaux deviennent de moins en moins nombreux parce que leur habitat est détruit. Tous ce qui reste sont les parcs et parce que les touristes vont dans ces mêmes parcs, c’est donc de plus en plus difficile pour moi d’être seul avec les animaux. Et je ne peux pas être près des animaux quand il y a d’autres gens: je leur gâche la vue et c’est un peu antisocial! Parfois je m’assois tout la journée avec des lions, en attendant de les photographier, et à la fin de la journée, les lions se lèvent et à ce même moment, des touristes dans un Land Rover apparaissent sur la colline. Je dois reculer parce que je ne peux pas bloquer leur vue. J’ai passé toute ma journée pour que les lions soient complètement tranquilles, pour que quand ils se lèvent ils ne remarquent même pas mon équipe et moi….mais c’est comme ça. C’est de plus en plus difficile. Souvent, je dois y aller hors saison, mais même ça ets insuffisant puisqu’il n’existe presque plus de « hors saison ». C’est très frustrant.

Est-ce que vous avez de problèmes avec les touristes ou leurs guides ?

Non, ce serait antisocial et injuste pour eux. Il se peut que certains d’entre eux soient en pleine lune de miel, ou passent les vacances de leur vie, donc ce n’est pas juste, même si ça me rend fou je dois reculer.

« A Shadow Falls » a était fait en combien de temps ?

Pendant quatre ans, j’ai passé un total d’un an pour faire ces photos. 58 photos, 58 secondes pour un an de temps passé là-bas.

Au-delà de cette année de photographie, il y a aussi le travail de tri et d’impression. Vous faites ça tout seul ?

Je trouve qu’imprimer soi-même est le meilleur moyen de comprendre les erreurs dans la photo, même si c’est seulement avec une imprimante jet d’encre. J’aime le faire moi-même. Je pense que je passe plus de temps à dire «ah, ce n’est pas bien » ou « les nuances sont mauvaises ».

Donc vous retravaillez l’ensemble continuellement pour améliorer votre travail et pour avoir le résultat que nous voyons ici ?

Ouais.

Comment procédez-vous avant l’impression ?

Je scan la pellicule noir et blanc et je me sers d’un logiciel pour faire le sépia.

Retournons à la vie de ces animaux, vous avez dit qu’ils sont de moins en moins nombreux. J’ai lu quelque part que vous êtes retourné sur un chemin huit ans après l’avoir emprunté et que vous étiez surpris par la diminution des animaux. Que leur est-il arrivé ?

Il y a une croissance incroyable de la population en Afrique, même si le continent est considérablement grand. Malheureusement, la concentration de nature est aussi la plus importante là où se trouve une grande partie de la population, comme dans le sud du Kenya, ou le nord de la Tanzanie. La population augmente en même temps que beaucoup de pauvreté et il y a ces animaux qui deviennent essentiellement de la viande gratuite. Ils n’ont aucune chance. Ils seront mangés, tout sera mangé. Les lions seront tués parce qu’ils tuent le bétail local. Ils seront empoisonnés et dans pas très longtemps, il ne restera plus rien.

Je vois dans votre travail des vues pessimistes et optimistes. Vous êtes d’accord avec ça ?

C’est bizarre parce que je suis toujours étonné quand les gens me disent ça. Je suis surpris qu’ils ressentent que tout disparaisse. Il n’y a rien dans mes photos qui dise que tout va disparaitre, et pourtant, je ne comprends pas comment, les gens ont ce sentiment. Je ne sais pas pourquoi.

Vous voyez un autre projet après celui-ci ?

Ce livre est le deuxième d’une trilogie. Le premier était « On This Earth », le deuxième était « A Shadow Falls », et le troisième va finir la phrase : sur cette terre, un ombre tombe… Si vous regardez dans « A Shadow falls » il y a un fil conducteur. Il commence avec le paradis et une abondance d’animaux, du « vert », de l’eau. En tournant les pages, tout devient progressivement plus sec, et il y a de moins en moins d’arbres et d’animaux, jusqu’à arriver à la fin du livre. Les arbres sont morts et il n’y a plus d’eau. La dernière photo est d’un œuf d’autruche sur le fond d’un lac asséché, ce qu’on peut interpréter de plusieurs manières: y a-t-il un espoir ou au contraire aucun ? Moi, je ne sais pas, mais c’est juste là, laissé comme une pointe d’interrogation qui mène au troisième livre, qui doit aller plus vers le noir, mais je ne sais pas encore comment. Ça va compléter la trilogie.

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Qu’est-ce qui vous a poussé vers le sujet des animaux africains ?

J’ai toujours adoré les animaux. En tant que réalisateur de cinéma, j’avais du mal a trouver des contes d’animaux pour adultes. En gros, presque tous les films d’animaux sont pour les gamins. Je ne suis pas très intéressé pour faire un film pour les enfants, même s’ils réagissent à mes photos parce qu’ils sont la génération du futur. De plus, le processus pour faire un film est frustrant hors du tournage en lui-même: on cherche des financements. On attend des années et des années, les meilleures années de notre vie, les années les plus inspirées et pleines d’énergis, en ne faisant rien. Vivre en Californie, avoir des réunions avec des producteurs et des gens du studio pour un film qui ne sera jamais fait parce qu’il manque de l’argent… Des années peuvent se passer comme ça ! Ça m’a rendu dingue. Je n’en pouvais plus. J’ai eu besoin de créer enfin. Quant à l’Afrique, j’y suis allé en 1995 pour faire un des clips de Michael Jackson. Je suis tombé amoureux de ce continent. C’était complètement magique pour moi. Je devais y retourner pour mes vacances et c’est quand j’ai amené mon Pentax avec moi que je me suis rendu compte qu’il y avait des moyens de m’exprimer sans avoir besoin de l’argent de quelqu’un d’autre. Au début, ça m’a beaucoup coûté. Je devais réaliser des pubs stupides pour des voitures pour payer mes voyages. Je n’aurais jamais pu prendre ces photos d’une façon normale, comme la plupart des photographes de nature.

Comment travaillez-vous ? Avez-vous un processus différent des autres ?

J’ai une équipe de trois véhicules et une radio pour communiquer. C’est utile d’avoir les autres voitures, pour surveiller les guépards endormis par exemple. Mon équipe peut m’avertir quand les guépards se réveillent. C’est plutôt comme le tournage d’un film. C’est une séance en équipe. Encore un exemple avec les lions : je peux passer 17 jours d’affilée en attendant un lion qui dort et qui se lève le 18ème jour. J’ai plus d’opportunités en travaillant comme ceci ; j’utilise mon temps d’une manière plus efficace. Mais c’est très cher de fonctionner comme cela.

Pour les éléphants, vous avez souvent une lumière forte et un ciel clair tandis que les lions sont photographiés dans une lumière plus faible. Avez-vous de préférence de lumière pour certains d’animaux ?

J’aime photographier avec les nuages parce que j’aime cette sensibilité esthétique plus douce. Une lumière plus forte connote un sens moderne. D’ailleurs, une lumière nuageuse permet de voir dans ces animaux avec leur apparence et leur graphisme propres, sans la complication du soleil et de ses ombres portées. Je trouve aussi qu’une forte lumière et un ciel bleu n’entraîne pas l’atmosphère particulière que je recherche. Si vous prenez mes photos et imaginez un ciel bleu, la photo devient beaucoup moins intéressante. Tout d’un coup il y a toute une espace vide et ennuyeux qui manque d’atmosphère. De temps en temps, il y a un ciel complètement clair, comme dans « Elephant with explosing dust ». Mais l’ironie, c’est que la poussière devient nuage. Pour les lions, quelques heures après l’aube, la lumière devient trop forte et on ne voit plus leurs yeux – c’est juste moche. Ça ne sert à rien de prendre une photo – c’est une perte de temps. Vous ne verrez jamais une de mes photos de lions ou de guépards prise après 8 heures du matin, sauf s’il y a des nuages, et alors ça peut être dans l’après-midi. Pareil pour les gorilles et les chimpanzés. Il faut une lumière nuageuse et douce pour voir leurs yeux, sinon il n’y a que des trous noirs.

Quels changements peut-il y avoir pour mieux préserver vos sujets photographiques menacés ?

La meilleure conservation, et celle qui est éthiquement la plus moderne, se base sur un travail avec les communautés locales qui vivent dans le même environnement que les animaux. C’est la seule manière qui peut fonctionner. Le vrai problème, c’est que même si vous travailler avec les communautés et que les gens comprennent l’importance financière d’avoir des touristes qui viennent pour voir les animaux, il suffit d’avoir 100 mauvais types, qui viennent de 100 km ou 1000 km, avec leurs fusils AK 47 ou leurs poisons. Ils peuvent anéantir la faune très très très vite. Et puis tout ce travail avec les communautés locales n’aura pas porté ses fruits. C’est ce qui arrive depuis quelques années. Ajoutez la sécheresse – la pire depuis 30 ans – et la crise économique qui engendre un manque de tourisme. Puis il y a les chinois : les nouveaux colonisateurs de l’Afrique. Les chinois répètent toutes les mauvaises choses que les européens ont fait il y a un siècle, mais dans une perspective plus économique. Il y a une explosion de demande venant de l’Est en ivoire depuis quelques années, de $400 le kilo en 2004 à $6 000 le kilo aujourd’hui. Le résultat : il est estimé que 10% de la population des éléphants africains – environ 30 000 éléphants – par an sont tués pour satisfaire cette demande. Partout où vont les équipes de construction chinoise, le braconnage augmente. Même quand un endroit est protégé, il y a toujours des gens qui rentrent et qui tuent illégalement les animaux pour la nourriture, ou qui ramassent le bois pour le charbon de bois. Ça se passent partout, pas seulement en Afrique. Au Mexique, il y a une réserve de biosphère des papillons monarques. Sur une photo satellite de 2004, on voit que les montagnes sont couvertes de forêts et puis on regarde le même endroit en 2008 et la forêt a disparu. Et ça, c’est dans une réserve, pas en dehors. C’est parti. Donc si tout s’est détruit même dans les réserves, quelle chance reste-t-il … Pendant un long moment, j’ai cru que les éléphants pouvaient s’en sortir, que l’embargo sur l’ivoire fonctionnait, mais la croissance extraordinaire de la classe moyenne en Chine a tout changé ; ils s’en foutent. Ils veulent seulement l’ivoire. On va devoir tout refaire avec les chinois maintenant, comme l’ouest à appris lentement comment traiter le monde avec respect.

Avez-vous prévu une exposition en Chine ?

Quelle bonne question ! Je sais que je devrais, mais j’ai dit « non » à tout parce que je suis dégouté par ce qu’ils font. Mais, en même temps, je me dis « merde, je dois vraiment dire « oui » pour faire de la pub. » Je ne m’attends pas à changer grand chose avec une exposition. C’est dans les interviews pour l’exposition qu’on essaye de faire ce que nous sommes en train de faire maintenant. Je ne l’ai jamais fait mais je devrais. Une chose intéressante : il y a un mois que j’ai commencé une page sur Facebook et je peux voir les pays d’où viennent les gens qui regardent ma page. Il y en a d’Inde mais personne de Chine. Je sais que je fais une énorme généralisation et qu’il y a des millions et des millions et des millions de chinois charmants qui prennent soin des animaux.

Interview par MF, 21 férier 2010

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