Hélène Bigot-Boulze, agent de photographes LN'B
Dans le milieu de la photographie professionnelle, un agent peu se révéler indispensable si on veut décoller.
Dans le milieu de la photographie professionnelle, avoir un agent est un vrai tournant pour le photographe. Démarcher, présenter son travail, négocier un budget, désormais quelqu'un va le faire pour lui. L'agent LN'B n'apporte pas que des contrats, elle encadre entièrement ses photographes de ses conseils, de son énergie et de son pouvoir relationnel. Au cœur de l'économie, engagée avec d'autres agents, elle milite pour faire respecter les droits d'auteur des photographes.
Quel est le commencement de L’agence LN’B ?
C’était il y a tout juste dix ans. Je suis devenue agent un peu par hasard, j’ai commencé par vouloir être photographe moi-même, et travaillé en tant qu’assistant, comme pour Bettina Rheims par exemple. J’ai fait de la production, du casting, puis après quelques passages en agences de pub, j’ai acquis un an d’expérience chez un agent, pour finalement me lancer à mon compte. Au départ je n’avais pas de photographe à gérer particulièrement, à part Christophe, mon mari ! Avec le bouche à oreille, j’ai fini par rencontrer de jeunes photographes, certains avec qui je travaille toujours aujourd’hui.
En 1999, à vos débuts, c’était plus facile ?
Je pense que c’est toujours pareil, ce qu’on a fait il y a dix ans on n’aurait plus l’énergie aujourd’hui pour le recommencer. On a l’impression que ce serait plus difficile aujourd’hui mais je crois que quand on fonce tête baissée, avec son projet en tête, l’énergie est là, on est tout neuf, et on y arrive. Il n’y a rien d’impossible. D’ailleurs il y a dix ans on me disait déjà que ce n’était pas la meilleure période pour commencer cela et que je prenais des risques. L’agent pour laquelle je travaillais à l’époque me disait qu’elle n’aurait plus l’énergie pour recommencer la même chose et qu’à ses débuts on l’avait mise en garde sur les risques de ce genre d’entreprises…
Au début vous aviez combien de photographes dans votre agence ?
Je ne me souviens plus très bien ! Je crois qu’il devait y en avoir cinq ou six. Nicolas Kowalski ça fait neuf ans qu’on travaille ensemble, François Rousseau je travaille avec lui depuis le départ, j’ai même commencé avec son dossier. Évidement il n’a plus rien à voir avec le dossier que nous présentons aujourd’hui. Christophe Boulze évidemment, mais c’est tout. Les autres se sont renouvelés petit à petit, les équipes changent, les envies…
Qu’est ce qu’on propose à un photographe pour qu’il rejoigne une équipe, un agent ?
Un rapport de confiance, un travail commun, mais ce ne sont que des propositions, je ne garantis rien.
Vous avez une presse qui vous est acquise ? Des commandes récurrentes de vos clients ?
Pas vraiment, nous avons des affinités avec agences ou certaines personnes dans des agences, mais ces choses là évoluent. Je ne peux rien garantir. Nous sommes aussi très nombreux sur le marché, les agents et les photographes, pour un gâteau à tendance à rétrécir… La "grande mode", la haute sphère des grandes marques est un peu réservée aux mêmes photographes, et après il y a tout le reste. Mais pour le reste nous sommes nombreux.
Vos photographes travaillent aussi un peu tout seuls parfois ?
A partir du moment où nous travaillons ensemble, les photographes sont tenus de rediriger leurs clients vers l’agence, c’est un contrat moral. Par contre il ne faut pas que ça marche à sens unique sinon ça ne fonctionne pas. Théoriquement c’est même plutôt l’agent qui apporte des clients au photographe. J’offre une visibilité grâce à mon site internet, une représentation par ma personne; on adhère ou pas. Je me déplace énormément en agence, j’ai beaucoup de rendez-vous pour présenter les travaux des photographes. Je les pousse aussi à faire évoluer leur travail, à avancer sur leurs projets personnels, pour que je puisse montrer des choses un peu différentes, un peu artistiques, et pour qu’ils évoluent.
En quoi consiste le travail type de l’agent de photographe ?
Offrir une visibilité aux photographes, les faire connaître, faire en sorte qu’on pense à eux le jour où il y a un appel d’offre pour un projet. Ça c’est la partie visible, mais il y a aussi toute la partie où je suis "coach". Pour ma part j’ai l’habitude de diriger un peu mes photographes, de construire leur dossier, de parler avec eux des directions à prendre de l’orientation de leur travail. Il y a des petites choses très fines et très importantes pour que leur caractère propre soit identifiable, qu’ils aient une écriture singulière et que ça se ressente dans les dossiers que je présente.
Il y a une touche particulière chez les photographes de l’agent LN’B ?
Ce n’est pas à moi de le dire ! S’il devait y avoir quelque chose de recherché, ce serait plutôt une écriture. Comme nous sommes nombreux dans le métier, il faut une écriture singulière et personnelle qui permette de se distinguer.
Quel est le profil de vos photographes ?
Sur l’âge ça se tient, entre 30 et 40 ans. La vocation de ces photographes n’est pas de répondre précisément à un secteur artistique en particulier, même si la publicité est un peu notre gagne-pain, ils ne sont pas "photographes de pub". Même les photographes artistiques ont besoin de faire un peu de pub pour vivre. Dans le détail, je représente 7 photographes dont un photographe de portraits, un photographe de nature-morte, deux photographes de beauté, un photographe de beauté / mode masculine, un photographe de mode, mode enfant essentiellement qui travaille beaucoup pour Le Figaro Madame, pour le Vogue Niños, c’est un conteur visuel, il retranscrit bien les univers. Avant j’avais tendance à chercher des photographes qui étaient très forts dans un seul domaine, et aujourd’hui j’ai besoin qu’ils soient plus ouverts comme Laurent Seroussi, capable de faire des images pour de la beauté, de la musique ou des voitures pourvu que l’image soit étonnante et ait du sens. En tout cas l’agence à besoin de présenter des capacités multiples.
Dans un book de photographe, vous montrez un peu de tout ? Du travail personnel artistique ? Ou bien plutôt ce qu’il a déjà réalisé pour vos clients ?
Chaque agent a ses méthodes et appose ses gouts dans ses dossiers. Je construis les books avec les photographes, de manière à ce que je sois à l’aise quand je les présente à mes clients, ils doivent donc me plaire. Même lorsque je m’adresse à une agence de publicité, si je vais faire un mélange, je montre plutôt le travail personnel de mes photographes. Il y a déjà sur mon site les références et les travaux déjà réalisés, c’est rassurant, on présente beaucoup de grandes marques. Il faut bien comprendre que c’est parfois délicat et qu’il faut être prudent, et ne pas montrer un travail pour L’Oréal lors d’une réunion avec leur concurrent direct… L’agent a aussi une connaissance du marché, des tendances, il sait à qui il s’adresse.
Financièrement, comment vous fonctionnez avec vos photographes ?
De façon très transparente. Il y a une exclusivité morale, on en a déjà parlé, sur tout le travail que nous faisons ensemble. Pour l’ensemble du travail "artistique", comme les expositions, c’est en dehors de notre relation, et si j’interviens pour les aider, c’est surtout parce que c’est très bénéfique pour eux d’exposer, et donc pour moi. Sur les honoraires et sur les droits d’utilisation des photos, l’agent perçoit 25%, c’est le tarif de la grande majorité des agents. Sur la presse, c’est 15%, c’est un peu plus symbolique, et ça rapporte tellement peu pour tout le monde… mais c’est une vitrine importante
Au bout de dix ans, votre activité est viable ?
Oui c’est viable, il m’arrive encore d’avoir des sueurs froides. Dans l’ensemble ça fonctionne, depuis sept ans j’ai un salarié, qui me seconde dans mon activité, pour prendre des rendez-vous, organiser des séances, refaire les dossiers, la facturation etc.
Vous recevez beaucoup de demandes pour représenter de nouveaux photographes ?
Oui, beaucoup en effet. J’essaie de répondre au maximum, c’est très rare que je ne prenne pas le temps de regarder, on ne sait jamais. Mais malheureusement il y a très peu de dossiers de qualité je trouve. Un agent qui débute a peut-être plus l’énergie d’accompagner de très jeunes talents. Aujourd’hui, j’ai envie de talents un peu plus confirmés, qui me ressemblent certainement un peu d’avantage. On devient moins indulgent, plus exigent… Même si le dossier comporte une vraie qualité, il me faut de la maturité dans le travail présenté.
De toute façon, si je veux faire mon travail correctement, je ne peux pas représenter un nombre infini de photographes. Je vais en rendez-vous avec tous mes dossiers sur les épaules, sept en l’occurrence, ce n’est pas énorme mais il faut les présenter au mieux. Je pense que je pourrais en avoir un ou deux en plus mais ce serait le maximum.
Et votre huitième photographe, à quoi ressemblerait-il ?
Je n’en ai pas la moindre idée. Quelqu’un d’intéressant, et que je rencontrerais, plus qu’une sélection parmi des dossiers envoyés par mail. C’est vrai que je fonctionne aussi pas mal à l’affect, j’ai besoin d’apprécier aussi humainement les gens que je représente, c’est un tout ! Il ressemblerait donc à un coup de cœur !
En ce moment il y a un affichage massif de publicités pour Renault, avec des bébés dont les prénoms sont ceux des voitures de la gamme. Vous étiez sur le coup ?
Oui, j’étais dans la compétition en effet, et je ne l’ai pas eu. On a été interrogés car j’ai deux photographes qui font de la photo d’enfants, à partir du moment où on nous demande c’est déjà bien, ça veut dire qu’on est dans la course.
Qu’est ce qui fait la différence dans ce cas là ?
Je ne sais pas. Un choix créatif surement. J’espère que c’est à cause ça ! Parfois aussi c’est une histoire de devis…
Qu’est ce que vous faites, vous cassez le devis dans ces cas là ?
On essaie de coller au plus près pour remporter le budget mais on n’a pas une marge de manœuvre très importante par rapport aux conditions que nous nous fixons entre nous. Ceux qui cassent les prix ne font que se tirer une balle dans le pied, ils vont tirer le niveau vers le bas, et ce n’est pas servir notre métier, il faut faire attention de ne pas "brader" nos talents… C’est primordial, et c’est aussi là notre rôle de conseil et de garant de qualité. Dans l’ensemble on fait à peu près dix sorties de dossiers pour un budget remporté. Mais je n’ai pas un appel d’offre par jour, parfois je n’en ai pas du tout, parfois j’en ai cinq dans la même journée. Parfois on remporte tous les appels d’offres, et le mois suivant on les perd tous. Il n’y a pas de règle !
Le photographe Christophe Boulze entre dans la conversation
CB : Je pense que ce qui est important chez l’agent de photographe, c’est d’abord l’honnêteté, et ensuite c’est la capacité à démarcher. Hélène démarche tous les jours. En dehors du fait que c’est ma femme, c’est aussi pour ça que j’y trouve mon compte en tant que photographe. C’est difficile de savoir comment font les autres avec leur agent. A un moment on s’était demandé comment les autres fonctionnent, leur chiffre d’affaire, leur rendement, comment certains agents présentent autant de photographes et comment ils arrivent à les faire vivre. A l’étranger, les américains par exemple ne démarchent jamais !
LNB : Oui mais c’est l’image qu’ils véhiculent, le côté agent international, avec un bureau à New-York, un à Paris, un à Londres. Ils représentent peut-être des photographes qui ont moins besoin qu’on les aide, mais il faut quand même qu’ils aient une sacré présence dans la presse et dans la mode pour qu’il n’y ait aucun démarchage à faire pour eux. C’est une autre façon de travailler.
CB : Ici c’est une agence amicale et familiale, vraiment basée sur le rapport humain. Les clients reviennent aussi pour Hélène, qui est toujours là lors des prises de vues, elle fait le lien jusqu’au bout.
Est-ce arrivé que des photographes partent de chez vous pour aller dans une autre agence ?
LNB : oui un seul important... Mais la plupart qui ont arrêté avec moi ont arrêté complètement leur activité de photographe professionnel. Dans l'ensemble on n’a pas à se plaindre de l'ambiance, on ne se voit pas tous les jours, lorsqu'on se voit on a des relations amicales, tout se passe bien. Moi j'ai besoin d'apprécier les gens avec lesquels je travaille.
Vous avez des projets pour le futur ?
LNB : Je n'ai pas énormément d'idées en fait. Récemment j'ai ouvert un blog, c'est sympa ça raconte un peu ce que je fais. Je sais que certains agents ont créé des banques d'images, mais au final je ne vois pas tellement l'intérêt pour moi. On avait pensé à un moment à posséder notre propre studio photo pour nos shootings, mais c'est un investissement important donc on a laissé trainer. En même temps, plusieurs se sont ouverts à Paris, dont le Studio Stella que j'aime beaucoup. Ils ont lancé une formule géniale, sur la base d'un immeuble complet avec à chaque étage un studio différent, Haussmanien, New Yorkais, bobo arty, un restaurant et un étage cyclo.
L'agent intervient beaucoup sur la production du shooting par rapport à un producteur photo ?
LNB : L'agent le fait aussi, un minimum. Les options sur les coiffeurs, maquilleurs, le studio etc. C'est plus pour donner un coup de main à l'agence, le client, pour participer. Mais là aussi il y a des différences selon les pays. Aux États-Unis, à partir du moment où il y a une prise de vue, il doit y avoir un producteur. Nous, nous faisons les deux, je pense que ça fait partie de mon travail.
Si vous devez faire appel à un producteur photo, vous prenez toujours le même ?
LNB : Non, ça dépend du photographe et du client. François Rousseau travaille avec Brachfeld pour les parfums Lacoste, là nous venons de finir une campagne pour la RATP, nous avons fait appel à une super production (KA2) qui nous a été indiquée par l'agence et avec laquelle nous avons depuis retravaillé ; d’une manière générale j’essaie de tourner avec les personnes en qui j’ai une réelle confiance.
Vous, Christophe, quelle est votre spécialité chez LN'B ?
CB : Moi je fais des portraits pour la presse. Au départ ce n'est pas très vendeur en pub. Ça le devient parce que c'est Monsieur et Madame Toutlemonde que je photographie, et que c’est actuellement une grande tendance. C'est le côté iconographie populaire. Malgré tout ce n'est pas très courant, donc pour moi c'est super d'avoir un agent mais pour elle, ce n'est pas vraiment rentable !
LNB : c'est vrai que lorsqu'on s'investit vraiment pour un dossier, si le photographe ne travaille pas et qu'il n'y a pas d'écho publicitaire, c'est difficile pour tout le monde. Pour lui c'est un vrai problème financier, et pour moi ça me rend malade de savoir qu'un de mes photographes ne travaille pas….
C'est une machine qui ne peut pas s'arrêter...
LNB : Non... Jamais, rien n’est acquis !
CB : Quand on commence on ne s'arrête plus.
Avec le temps la pression diminue un peu ?
LNB : Non, pour moi elle ne diminue pas. Au départ on fonce tête baissée en se disant qu'on verra bien, après "avoir vu" on grandit et il faut maintenir un certain niveau, et une présence aussi.
Et ça vous plait toujours ?
LNB : Oui, complètement. Mais il ne faut jamais relâcher, j'ai quand même une certaine responsabilité avec cette agence qui compte huit personnes.
Du coup on essaie de s'organiser : je fais partie d'une association qui s'appelle "Les agents associés", et nous essayons de monter une charte de qualité pour les agents, dans le but final de défendre les droits d'auteur. Ils sont de plus en plus négligés, les clients sont de plus en plus durs ne sachant pas toujours à quoi cela correspond, du coup les agents vendent leur âme pour un budget. Nous faisons de la pédagogie en quelque sorte. Il faut que les agents soient tous solidaires. Là nous sommes presque une cinquantaine, j'espère que nous allons réussir à grandir en terme d'effectifs. C'est très important, cinquante agents cela représente huit cents artistes, photographes ou illustrateurs, et il faut que nous soyons nombreux pour être entendus jusqu'au ministère de la culture!
C'est le syndicat des agents ?
LNB : Exactement, même si le terme ne me plait pas beaucoup !
Vous êtes à l'initiative de cette association ?
LNB : Non, moi j'adhère depuis le début. Un des fondateurs est Marc Puissemier, avec Isabelle Hirsch je crois, mais c'est à vérifier.
CB : Ils ont refait récemment les grilles de droits, pour que ce soit les mêmes qui soient attribuées à tout le monde.
LNB : essentiellement pour donner une base de travail aux acheteuses d’arts ainsi qu’aux clients qui eux même établissent parfois leur propre grille…
Comment est reçue cette association par les clients et les grosses agences ? Vous leur imposez vos normes et vos tarifs parce que vous faites partis d'un syndicat ?
LNB : Non, ce n'est pas le cas, ils s'en fichent ! Ce sont eux qui tiennent les rennes. Mais nous essayons d'appliquer quelque chose, de donner des armes aux responsables artistiques dans les agences pour qu'eux aussi puissent défendre une bonne pratique auprès de leur hiérarchie et de leur clientèle. Parfois il faut leur donner du contenu aussi pour les informer, car ils ne savent pas toujours qu'il y a des droits, ou en quoi ils consistent exactement. C'est un gros travail pédagogique et c'est aussi le but de l'association. Au final nous essayons aussi de faire remonter tout ça au ministère de la culture pour être entendus. Mais il faudrait que nous soyons plus nombreux, alors que certains ne s'y intéressent pas, en pensant qu'ils n'ont pas besoin d'être réunis et défendus. Je pense surtout aux gros agents internationaux. Il nous manque particulièrement "les gros" pour avoir le maximum d'impact.
CB : Mais les gros agents n'ont pas ces soucis là...**
LNB : Mais c'est une erreur parce que le jour où les droits disparaitront, ils seront touchés comme tout le monde. C'est pour anticiper ce risque éventuel qu'ils devraient rejoindre l'association. Les agences de mannequins se sont réunies à une époque pour les mêmes raisons et ont obtenu gain de cause…